Franck Ramus :
La mémoire, c'est absolument incontournable à l'école.
Parfois, les enseignants ont tendance à minimiser un peu l'importance de la mémoire et se disent : ça sert juste à l'apprentissage par cœur.
Mais en fait, non, ça sert à tout.
Tout ce qui est enseigné à l'école, que ce soient des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être, si on veut que les élèves le conservent, pour plus tard, pour s'en resservir en dehors de l'école, il faut que ce soit quelque part ancré dans leur cerveau et donc dans leur mémoire, dans une des formes de mémoire dont ils disposent.
À l'école, globalement, il y a beaucoup de choses à apprendre, donc beaucoup de contenu.
Donc évidemment, tout ça, ce sont des connaissances factuelles qui doivent être apprises, mémorisées.
Mais il n'y a pas que des connaissances factuelles, il y a aussi des concepts qui sont à assimiler, qui sont à comprendre, qui sont à relier les uns aux autres.
Il y a aussi des compétences qui sont à acquérir et à développer et à affiner.
Il y a aussi des automatismes des habitudes, des procédures qui sont à acquérir.
Mais en fait, tout ça, ça se passe dans la mémoire.
Tout ça, ce sont soit des représentations, soit des comportements qui sont acquis progressivement par l'élève et qui vont pouvoir être reproduits et développés, seulement, à condition qu'ils soient vraiment ancrés dans la mémoire, soit dans une mémoire déclarative, celle qui contient les connaissances, soit dans une mémoire procédurale, celle qui contient les compétences.
Donc, en fait, les enseignants ne le réalisent pas forcément, mais la mémoire est au cœur de ce qui se joue à chaque instant dans la salle de classe.
Tout ce qu'ils essayent de transmettre doit trouver une place dans la mémoire des élèves d'une manière ou d'une autre.
Et donc, ils doivent absolument s'intéresser aux conditions dans lesquelles les élèves peuvent mémoriser le mieux possible tout ce qui est enseigné.
Maintenant, on a tous un téléphone qui nous donne accès à toute la connaissance du monde sur internet.
À quoi bon, finalement en mémoriser les choses si toute la connaissance est disponible aussi facilement ? Le problème, c'est que c'est très bien que la connaissance soit accessible mais tant qu'elle n'est pas dans notre cerveau, on ne peut rien en faire.
On ne peut pas réfléchir à propos de quelque chose ou comprendre quelque chose qui est à l'extérieur de notre cerveau.
Ça doit d'abord rentrer et donc être mémorisé, au moins temporairement, pour qu'on puisse réfléchir à ce sujet.
Donc, le fait que les connaissances soient accessibles ne permet pas de se dispenser de la mémoire.
Ça facilite l'acquisition de nouvelles connaissances, c'est certain, mais si on veut pouvoir les utiliser, il va falloir les mémoriser quand même.
Les limites qui sont liées à la mémoire peuvent être la source de différents cas de difficultés scolaires.
Par exemple, il peut y avoir des limites de la mémoire de travail de l'élève.
Elle est l'espace dans lequel il va maintenir les pensées sur lesquelles il est en train de réfléchir en ce moment.
S'il a une mémoire de travail trop limitée, il ne va arriver à réfléchir qu'à un trop petit nombre d'éléments, il ne va pas arriver à capturer l'ensemble de la situation.
Mais en fait, cette mémoire de travail peut aussi être saturée.
Elle peut être saturée par le fait qu'il n'a pas assez de connaissances.
Une fois qu'on connaît la définition de la Constitution française ou une démonstration du théorème de Pythagore, c'est dans la mémoire à long terme, on n'a pas besoin de l'avoir présent dans la mémoire de travail.
Donc le fait d'avoir des connaissances en mémoire à long terme, ça permet de soulager la mémoire de travail et donc les élèves qui n'ont pas assez de connaissances vont souvent avoir du mal à effectuer des tâches scolaires qui sont simples pour d'autres.
Il y a aussi un autre cas de figure, c'est que lorsque des tâches ne sont pas assez automatisées, par exemple, le fait d'arriver à reconnaître les mots écrits, donc d'arriver à lire couramment, c'est une tâche qui, au bout d'un ou deux ans, est parfaitement automatisée chez la plupart des élèves et du coup, quand ils lisent, ils n'ont pas besoin de stocker toutes les étapes élémentaires du décodage, les phonèmes, les syllabes, etc.
Ils n'ont pas besoin de le stocker en mémoire de travail.
Ils reconnaissent le mot automatiquement et du coup, ils peuvent se concentrer sur le sens.
Mais pour ceux qui n'ont pas réussi à bien apprendre à lire, qui en sont encore à l'étape du déchiffrage, tout ça occupe leur mémoire de travail au détriment du sens.
Donc, l'automatisation des tâches, que ce soient des tâches de lecture, de calcul, les tables de multiplication, tout ça, ce sont des choses qui vont soulager la mémoire de travail des élèves et leur permettre de faire des choses plus sophistiquées.
Un autre cas de difficultés scolaires, c'est quand on a l'impression que l'élève n'arrive pas à comprendre quelque chose.
On n'arrive pas à comprendre pourquoi il ne comprend pas.
Et souvent, on oublie que la compréhension est aussi basée sur la mémoire.
On a besoin de connaissances pour comprendre.
Parce que finalement, la compréhension, c'est le fait de connecter différents objets de connaissances et de comprendre les liens qu'ils entretiennent entre eux.
S'il n'y a pas les connaissances déjà dans la mémoire, il n'y a aucun moyen de les connecter et donc on ne peut pas atteindre une compréhension.
Donc vous voyez que finalement, que ce soit pour des questions de connaissances, de compétences ou de compréhension, on en revient toujours à la mémorisation.